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Les objectifs de l'entretien (1ère partie)

De nombreux demandeurs d’asile pensent que la sincérité de leur récit est suffisante. Or, l’objectif de l’entretien n’est pas de valider ou non la véracité de l’histoire du demandeur d’asile, mais de :

 

1) Vérifier la nationalité du demandeur d’asile ou, s’il n’a pas de nationalité, son pays de résidence et sa présence au pays aux dates alléguées.

 

2) Identifier le motif de ses craintes de persécutions.

 

3) Déterminer si le motif de ses craintes correspond à un des cinq critères énoncés par la Convention de Genève.

​

1) Vérifier la nationalité

 

​L’OP doit vérifier la nationalité du demandeur d’asile ou, à défaut de nationalité, son pays de résidence habituelle. Il doit également s’assurer que celui-ci ait séjourné dans son pays aux dates alléguées. 

Madame A.

Madame A., ressortissante russe, déclare avoir été persécutée à Moscou 

en raison de ses origines ethniques arméniennes. Elle s’exprime en langue russe. Je lui demande :

– A quelle adresse avez-vous vécu ? Quel était votre arrêt de bus ? Comment se nommaient les rues du quartier ? 

Madame A. hésite. Elle secoue la tête. Elle paraît déstabilisée.

– Lorsque je sortais, j’étais toujours avec mon mari. Je le suivais. Alors, vous savez, les noms de rues, les arrêts de bus... 

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Le quiz de géographie

Le fait que Madame A. parle en langue russe n’est pas suffisant pour déduire qu’elle provient de Russie.

 

En effet, de nombreux citoyens issus de pays de l’ex-bloc soviétique sont parfaitement bilingues. En posant des questions de géographie, je cherche à vérifier que Madame A. résidait bien à Moscou.

 

La connaissance du territoire national présume de la nationalité ou du pays de résidence du demandeur d’asile.

Monsieur B.

Monsieur B., d’origine tamoule, déclare avoir fui le conflit ethnique sri lankais.

Je le questionne sur les dates de fermeture de l’autoroute A9.

Monsieur B. donne de mauvaises réponses. 

 

Je lui donne une seconde chance :

« Quelles sont les dates des cessez-le-feu ? »

De nouveau, il se trompe. 

​

L’idée qu’il n’ait pas été présent au Sri Lanka durant le conflit m’effleure l’esprit. 

Le quiz d'histoire

Face à l’échec de Monsieur B. au quiz d’histoire, je peux être amenée à 

penser qu’il fait partie de la diaspora tamoule ayant quitté le pays depuis 

plusieurs années.

 

La probabilité qu’il n’ait pas été présent dans son pays durant le conflit ethnique est très forte.

​

La connaissance de la chronologie d’un conflit ou d’un événement majeur 

présume de la présence du demandeur d’asile dans le pays durant cette période.

Madame C.

Madame C., d’origine tibétaine, déclare avoir fui la République 

Populaire de Chine.

Elle s’exprime en langue tibétaine. 

Je lui demande de traduire les mots

« école » et « livret de famille » en chinois.

Madame C. refuse.

Elle ne comprend pas pourquoi elle doit faire des exercices de traduction. 

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Le quiz de vocabulaire

Pour déterminer si Madame C. provient de Chine (pays où les Tibétains sont persécutés) ou d’Inde (pays où ils ne sont pas persécutés),

je lui soumets un test de vocabulaire.

 

La connaissance de la langue présume de la nationalité ou de l’origine 

ethnique du demandeur d’asile.

Lors des entretiens, la technique du quiz est privilégiée car elle permet de récolter des informations objectives et vérifiables. 

​

Toutefois, ces quiz sont souvent source de malentendus. Par exemple, à la question : « à combien de kilomètres se situe la prison ? », le demandeur d’asile répond le plus souvent : « Je ne sais pas », alors qu’il serait capable d’expliquer : « La prison se situe à deux jours de marche.» Avant de répondre, il est donc important de comprendre le but des questions. 

 

Le parfait demandeur d’asile maîtrise ses actes de langage.

Il n’y a pas de réponse vraie ou fausse. Il y a uniquement des énoncés réussis ou non.

 

Un énoncé est réussi quand il y a une correspondance

entre la question de l’OP et la réponse du demandeur d’asile.

La fonction illocutoire de l'acte de langage

Préciser un chiffre ou un nombre de kilomètres n’est pas en soi indispensable.

Il s’agit de donner une réponse qui fasse sens. 

C’est ce que l’on appelle la fonction illocutoire de l’acte de langage. 

Les objectifs de l'entretien

2) Identifier le motif des craintes de persécutions

​

L’OP cherche à savoir pourquoi le demandeur d’asile a été persécuté ou craint d’être persécuté dans son pays.

Madame D.

Madame D., ressortissante haïtienne, déclare avoir été victime 

d’agressions sexuelles. Elle murmure :

– C’était un samedi. Quand j’ai entendu du bruit, c’était trop tard. Ils étaient déjà entrés dans la maison. Ils étaient cinq…

– Vous les connaissiez ?

– Ils portaient des cagoules. Je n’ai pas vu leurs visages. 

– Suspectez-vous quelqu’un ?

– Non.

– Pourquoi s’en sont-ils pris à vous ?

– Je ne sais pas. 

– Ce type d’agression était-il courant à Port-au-Prince, après le séisme ?

– Vous savez, après le tremblement de terre, c’était le chaos. Tout le monde avait peur, surtout les femmes…

– C’est-à-dire ?

– Les bandits s’attaquaient aux femmes seules.

– C’était votre cas ?

– Oui, depuis le décès de mon mari, je vivais seule. J’avais repris le commerce familial et, grâce à Dieu, les affaires marchaient bien. 

Pourquoi a-t-elle été persécutée ?

Interrogée sur le motif de son agression, Madame D. répond qu’elle ne sait pas.

Au vu de mon insistance, elle finit par me fournir deux informations essentielles : sa situation matrimoniale et financière dans le contexte post-séisme.

 

Ces deux motifs, qui n’étaient pas évidents pour elle, constituent le cœur des persécutions subies.

​

Il arrive souvent que l’individu n’ait pas conscience d’appartenir à un certain groupe social ou ne relie pas cet élément aux craintes de persécutions. 

Le parfait demandeur d’asile identifie le motif de ses craintes de persécutions.
Il explique en quoi il est plus vulnérable et plus exposé à des persécutions
qu’un autre de ses compatriotes.

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Les objectifs de l'entretien

3) Déterminer si le motif des craintes correspond à la convention de Genève

​

Il m’est arrivé une anecdote, relatée par Shumona Sinha dans son roman « Assommons les pauvres* ». Alors qu’elle est interprète à l’OFPRA, nous recevons ensemble Monsieur E. Dans le chapitre qu’elle intitule « Je vais vous dire la vérité », voici ce qu’elle écrit :

 

Ce jour-là, Lucia a fini par lui dire que ce n’était franchement pas la peine de continuer l’entretien, car elle ne pouvait pas croire ce qu’il disait. Elle lui a proposé de réfléchir, de faire une pause. Elle a ajouté qu’il pouvait changer son récit, que ce n’était pas grave du tout. Mais seulement, il fallait qu’elle puisse le croire. 

On l’a interrogé alors sur son logement. Est-ce que ça se passait bien ? Et qui était le monsieur qui l’hébergeait. (…) 

– Je peux vous dire la vérité ?

Je n’en ai pas cru mes oreilles. (…) Je me suis penchée vers l’homme comme un pêcheur amateur vers une truite venue à la surface de l’eau.

–  Je suis camionneur. Je rentrais de la grande ville à mon village. Et sur mon chemin, j’ai renversé un homme. On m’a accusé de meurtre. Je me suis enfui. 

L’homme m’a semblé à la fois soulagé et inquiet. Il craignait la suite. 

–  Alors ? Je vous ai dit la vérité.

Lucia lui a expliqué la suite. C’était la routine. Je le savais. L’homme ne le savait pas. On amenait ces gens-là à dire la vérité pour, en fin de compte, ne rien en faire. C’était un cul-de-sac. 

 

Je me souviens exactement de cet entretien. C’était la première fois qu’un demandeur d’asile acceptait de se détacher du texte qu’il avait acheté. Il nous avait confié son histoire. Je l’avais longuement questionné. Son récit contenait tous les éléments narratifs constituant un excellent drame, mais ne correspondait ni aux critères de la Convention de Genève ni au cadre de la protection subsidiaire. Malgré la véracité des faits, sa demande d’asile était hors champ. 

 

Alors que je rédigeais ma proposition de rejet, mon collègue me glissa :  « La Convention de Genève oblige à distinguer entre le malheur et le malheur juridiquement protégé. » 

​

Le parfait demandeur d’asile comprend que le motif de ses craintes

de persécutions correspond à un des critères de la Convention de Genève. 

​

Peu importe la véracité de ses propos,

si son récit n’entre pas dans les dispositions des textes,

l’OFPRA considère sa demande d’asile comme hors champ. 

*Shumona Sinha, « Assommons les pauvres », éditions de L’Olivier, 2011.

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