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Jean-Louis Comolli

Chère Clio,

 

J’ai vu ton film que je trouve (évidemment) très remarquable et étonnant. La bande-son (qui est là pour que l’on s’y raccroche) est fort belle. Les quelques plans où tu montres des bâtiments, des coursives, etc. sont également très beaux.

Je ne dirai rien de plus des longues plages de noir, qui se suffisent à elles-mêmes et dont, si nous nous voyons un jour, je discuterais la pertinence. Que faire de ce que l’on ne veut ou ne peut pas montrer ? Du cinéma, par pitié ! Il s’agit toujours un peu de frustrer le spectateur. De lui réapprendre son infirmité au coeur de la puissance illusoire du 

« voir ». (...) »

Jimmy Deniziot
et Roxanne Riou

Le film de Clio Simon est grand.

La collaboration avec le compositeur Javier Elipe Gimeno en fait un objet sonore ménageant silence, paroles sidérantes et éclairantes, et opéra minimaliste traversé de rares images qui jouent sur la symétrie.

Grand aussi, pour ce qu’il autopsie de mortifère d’une institution qui occulte la vérité du langage pour s’intéresser à son déchet : la véracité.

A contrario, l’intime conviction et la solidarité de personnes du service de l’immigration et de l’asile, même entravées, tentent de fleurir malgré les ordres…

Grand surtout pour le brio avec lequel Clio Simon affronte la contrainte de l’impossibilité de filmer, et la transfigure en puissance de cinéma (...). 
Il n’y a pas de lumière, donc pas de cinéma, s’il n’y a pas de noir pour la recueillir.

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Note d'intention du Film, Clio Simon

 

"L’impossibilité de filmer les guichetiers des services de l’immigration français dans, ou à l’extérieur, de leurs lieux de travail m’a questionnée par rapport aux enjeux de représentation : face à l’absence d’image, « l’image manquante », quel dispositif cinématographique mettre en place afin de retranscrire les espaces sonores et visuels des guichets dans lesquels les récits abondent ?

Comment rendre compte de la manière dont se fabriquent les décisions réglementaires à l’encontre des demandeurs d’asile ? Au prix de quelles interprétations, quelles fictions politiques et quelles partitions du réel ?

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Ce film a pour fondation l’écran noir où abondent les récits. Il y est question des « non-dits », ce lieu dramatique où se nichent les silences, les bégaiements, les soupirs mais aussi les apartés, les messes basses, les fausses affirmations. Autrement dit une histoire plurielle de représentation, de lutte sémantiques où, parfois, les mots semblent sonner faux.

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Le film est structuré sous forme d’exercices de style (récit parlé-chanté, retranscription brute d’enquête, témoignages à la première personne, cadavres exquis, monologue, dialogue). Voix plurielle, celle d’un corps aux contours flous, qui bégaie et ne se trouve pas.

Prendre soin de nos hésitations, de nos incertitudes, de nos flottements. Prendre le temps.

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Le son agira comme agent révélateur de l’image manquante. Le burlesque de cette pièce sera suffisamment fin pour décrire une certaine absurdité, celle du mythe de Sisyphe, où les guichetiers vivent dans une sorte de No man’s land, un continent aux contours rendus flous par des lois discrétionnaires.

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La composition musicale originale pour trois instruments (accordéon, contrebasse et trombone) et électronique et voix est de Javier Elipe Gimeno. Elle s’inscrit dans le registre du burlesque sonore (au sens burla « farce, plaisanterie »). Le vocabulaire convoqué se réfère au film de Jaques Tati. La vie sonore des objets et des bruits est au premier plan, au même niveau que les voix. La source sonore devient énigmatique. Un burlesque suffisamment fin pour décrire l’absurde et désacraliser le monde de l’Institution (le Palais des Nations à Genève où a été inventée, puis rédigée et signée en 1951 la convention de Genève relative au statut de réfugiés et apatrides. Texte aujourd’hui appliqué dans les services de l’immigration français). La musique n’illustre pas, elle agit comme une extension. Les récits sont agents révélateurs de l’image manquante."

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Clio,

 

Je voulais sincèrement te remercier pour ton film. J'ai eu le sentiment qu'hier, tout rentrait enfin dans l'ordre. Comme si les événements dans ma vie s'étaient enchaînés de manière désordonnée et d'un coup, à la fin de la projection, tout prenait sens.

 

Maintenant cette histoire ne m'appartient plus. Cela ne me définit plus.

C'est un personnage de ton film et il n'est plus moi. 

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Bien à toi,

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Céline

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Nue, sans image, fondue dans un écran noir, la parole est travaillée entière et brute pour révéler la chair des personnages. Théâtrale, anonyme, hésitante, étrangère, philosophique, chaque voix traduit une musicalité politique et poétique.

Les tableaux, aux décors surannés et statiques traversés par des personnages tels des pions se mouvant dans l’univers de Jacques Tati, illustrent le caractère figé de l’Administration : fixe et aveugle aux récits de ses travailleurs et au temps qui passe.

Au delà de la question du droit d’asile, ce film interroge la fabrication de nos vérités construites sur un imaginaire collectif. Il questionne notre capacité à les remettre en cause, face à une machine sonore et mécanique, immobile.

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Née en 1984, France.

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Artiste diplômée du Fresnoy - Studio national des arts contemporains en 2015, Clio Simon écrit ses projets dans une démarche résolument extra-disciplinaire. Ses équipes se constituent de chercheurs, scientifiques, anthropologues, compositeurs.

Sa démarche est résolument ancrée dans le champ de la création contemporaine avec un intérêt particulier pour l’Image (comme trace poétique, document qui oscille entre réel et imaginaire), le Récit (écrit, parlé, chanté, allégorique, celui d’un Dehors qui bruisse, qui nous raconte, fable topique), et la Musique (non pas illustrative mais comme quatrième personnage agent révélateur de l’image).

Les réalisations de Clio Simon nous conduisent en un ensemble résolument hybride. Elle travaille cette matière qu’est le réel à la recherche d’une énergie politique, sans négliger les nécessaires échappées vers fictions et imaginaires.

Majoritairement ancrée dans l'image mouvante, elle investit de manière complémentaire et transversale les champs de l’Installation et de la Performance, engageant ainsi un acte plastique.

Dans ses réalisations Clio Simon développe l’idée selon laquelle les hommes non seulement vivent en société mais fabriquent constamment de la société pour vivre. Imaginaire et réel se retrouvent intrinsèquement liés pour interroger les fondements de nos sociétés.

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