voyage en terre d'asile
A ma grand-mère, partie en voyage, le jour de la publication de ce site
Les objectifs de l'entretien (2ème partie)
Après les premières vérifications, l'entretien vise à :
4) Etablir les persécutions et la rationalité des craintes de persécutions
5) Définir l’individualisation des craintes de persécutions
6) Evaluer si le demandeur d'asile s’est prévalu de la protection des autorités de son pays
7) Etudier les craintes de persécution en cas de retour dans le pays d’origine ou dans le pays de résidence
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4) établir si les craintes de persécutions sont rationnelles
L’OP cherche à savoir si les craintes du demandeur d’asile sont rationnelles et si on peut y croire raisonnablement.
Madame F.
Madame F. regarde autour d’elle, comme pour vérifier qu’il n’y a personne d’autre dans la pièce.
Puis, elle se rapproche de moi et me souffle :
« Mon voisin m’a jeté des sorts. Je n’ai pas pu bouger pendant plusieurs mois. Aujourd’hui, j’ai toujours le cou bloqué. »
La rationalité d’une crainte
s’inscrit dans un cadre culturel occidental.
Madame F. est handicapée par des traumatismes psychologiques et physiques réels. Des certificats médicaux attestent de son état.
Bien que le vaudou fasse partie intégrante de la culture haïtienne et malgré la réalité de sa santé physique et mentale, la sorcellerie n’est pas reconnue par l’OFPRA comme constituant une crainte rationnelle de persécution.
La mesure de la rationalité se heurte à la variabilité culturelle et aboutit au rejet de la demande d’asile de Madame F.
Monsieur G.
Monsieur G., jeune déserteur, étale sur mon bureau ses dessins : des chevaux aux yeux exorbités, agonisant au milieu d’un champ de bataille et de tourbillons emmêlés.
Il m’offre ses œuvres d’art brut, comme si elles se suffisaient à elles-mêmes pour m’exprimer son récit. Il ne parle pas. Il ne répond pas à mes questions. Les mots n’ont aucune prise sur lui. Il me tend ses dessins.
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Je ne peux pas remplir les cases de son état civil, détailler son parcours militaire, noircir de lignes sa fuite du pays juste avec ses dessins.
Alors, résigné, il les range dans son sac à dos, se lève et pousse la porte de sortie.
La verbalisation des craintes comme élément de sa rationalité
Monsieur G. est incapable de verbaliser son récit.
Si ses dessins attestent d’un passé traumatique, l’absence de mots empêche d’établir la rationalité de ses craintes de persécutions.
A l’OFPRA, seule la parole constitue un élément de preuve.
Les craintes de persécutions doivent être verbalisées et explicites afin que l’OP puisse les ancrer dans une réalité.
Monsieur H.
Monsieur H. prend le temps de choisir ses mots avec précision.
– C’est rocambolesque, incroyable, extraordinaire, mais c’est la vérité. La bombe a explosé devant l’hôtel, à l’angle de la rue principale, quelques minutes après que j’y suis passé.
– Les terroristes vous visaient ?
– Oui, j’étais leur cible depuis la grève générale de janvier. Ils m’avaient menacé plusieurs fois lorsque j’étais au travail. Quand j’ai senti le souffle chaud de l’explosion, je ne me suis pas retourné. Il y a eu des cris, une fumée, une odeur de brûlé. Je tremblais. J’ai couru sans m’arrêter jusqu’au fleuve. Je n’ai jamais cru au destin, mais là, il fallait bien l’admettre : Dieu a voulu que je vive. Après cela, j’ai décidé de quitter le pays.
quand l’irrationnel devient rationnel
Monsieur H. utilise des marqueurs culturels occidentaux, c’est-à-dire qu’il fournit des noms de lieux et des dates précises. Il évite les termes trop généraux et non descriptifs (proche/loin, récent/longtemps…) et donne des éléments qui permettent de projeter un décor réaliste à son récit.
En effet, en général, l’OP n’est jamais allé dans le pays du demandeur d’asile. Ce dernier doit donc fournir à l’OP les couleurs et les nuances permettant de peindre un paysage figuratif.
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Dans le cas de Monsieur H., la précision de ses mots a rendu l’ensemble de ses déclarations crédibles et son aveu sur sa survie exceptionnelle à l’attentat a permis de considérer qu’il est raisonnable de le croire.
La dégradation de la situation
Il est important de décrire la dégradation de la situation initiale. En effet, les conflits naissent généralement de problèmes mineurs qui s’enveniment au gré d’incidents ultérieurs ou parallèles.
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La parole du demandeur
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Contrairement au système judiciaire, où il est possible de faire appel à des témoins extérieurs, l’évaluation de la rationalité des craintes du demandeur d’asile se fonde uniquement sur sa parole, d’où l’importance de la cohérence de ses déclarations.
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Le parfait demandeur d’asile démontre par tout moyen qu’il est raisonnable de le croire en exposant des craintes de persécutions rationnelles.
Les menaces dont il fait l’objet sont concrètes, détaillées, inscrites dans une chronologie et se réfèrent à un cadre culturel occidental. Enfin, leur gravité croissante le pousse à quitter son pays en dernier recours.
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5) Définir l'individualisation des craintes
La Convention de Genève repose sur une conception individuelle des craintes de persécutions. C’est la raison pour laquelle le demandeur d’asile doit faire valoir en quoi il a été personnellement visé. C’est ce que l’on appelle l’individualisation des craintes de persécutions.
Madame J.
Madame J. répète en boucle qu’elle a peur de la police de son pays.
– Pourquoi avez-vous peur des policiers ?
– Les policiers sont tous corrompus.
– Avez-vous eu un problème avec un policier en particulier ?
– Oui... Lorsque je rendais visite à mon époux à la prison, le commissaire glissait sa main dans mon corsage… Il me disait de me laisser faire, pour éviter des ennuis à mon mari…
En quoi est-elle visée personnellement ?
Si Madame J. verbalise avec difficulté son expérience traumatique, cet aveu est nécessaire car la simple déclaration « J’ai peur de la police » n’est pas suffisante pour établir l’individualisation de ses craintes de persécutions.
Si la police est effectivement réputée pour être particulièrement corrompue dans son pays, Madame J. doit expliquer en quoi les policiers représentent une menace directe pour elle. En effet, l’OFPRA n’accorde pas le statut de réfugié à tous les ressortissants au motif que la police est corrompue dans leur pays.
Cet exercice d’individualisation des craintes exige une objectivation de l’événement. Il est complexe à mettre en œuvre, notamment quand le
traumatisme est caché aux proches ou à la communauté.
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Le parfait demandeur d’asile dispose du recul nécessaire pour individualiser ses craintes.
Il est capable de verbaliser les raisons pour lesquelles il a été personnellement menacé.
6) évaluer si le demandeur s'est prévalu de la protection des autorités de son pays
La Convention de Genève accorde une protection de substitution, c’est-à-dire qu’elle ne s’applique qu’à défaut d’exercice de la protection nationale. L’objectif ici est donc d’évaluer si le demandeur d’asile s’est prévalu de la protection de son pays.
Madame K.
Madame K. déclare avoir été victime de violences sexuelles.
– Avez-vous porté plainte ?
– Non.
Elle n’enchaîne pas. Elle attend la question suivante. J’insiste.
– Pourquoi n’avez-vous pas porté plainte ?
Un silence s’installe. Je lui repose la question.
– Comment aurais-je pu porter plainte ? Je saignais abondamment…
Le commissariat est très loin de chez moi… Et si je l’avais fait, tout le village aurait été au courant…
Pourquoi n'a-t-elle pas porté plainte ?
Madame K. explique pourquoi elle n’a pas voulu se prévaloir de la protection des autorités de son pays. Son état de santé critique, la distance entre son domicile et le commissariat et la peur de l’opprobre public l’en ont dissuadée.
Ce n’est donc pas l’acte de porter plainte qui est important, c’est la capacité du demandeur d’asile à justifier ses choix qui prime.
Le parfait demandeur d’asile indique pourquoi il n’a pas pu ou voulu
se réclamer de la protection des autorités de son pays.
Il développe de lui-même les arguments qui l’en ont empêché.
S’il a porté plainte, mais que les persécutions ont perduré,
il explique en quoi les violences sont tolérées, voire encouragées par les autorités de son pays.
7) étudier les craintes de persécutions du demandeur en cas de retour au pays
L’OP cherche à savoir si le demandeur d’asile craint d’être de nouveau persécuté en cas de retour dans son pays. Cette question est épineuse lorsqu’il s’agit de ressortissants ayant quitté un pays considéré comme sûr.
Un pays est classé « sûr » : « s’il veille au respect des principes de la liberté, de la démocratie, de l’état de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». La liste de ces pays est dressée par le conseil d’administration de l’OFPRA.
Depuis 2015, il s’agit des pays suivants : Albanie, Arménie, Bénin, Bosnie-Herzégovine, Cap-Vert, Géorgie, Ghana, Inde, Kosovo, Macédoine, Maurice, Moldavie, Mongolie, Monténégro, Sénégal et Serbie.
Les dossiers des demandeurs d’asile des pays sûrs sont traités en procédure accélérée (dans un délai de quinze jours) et le recours à la CNDA n’est pas suspensif de l’expulsion.
Monsieur L.
Monsieur L. est intarissable sur les manifestations de l’été 2011 en Arménie. Je rédige une proposition d’accord au statut de réfugié. Le lendemain, mon chef me convoque : « Notre président vient de se rendre dans la capitale arménienne pour célébrer l’amitié entre nos deux pays. Dans quelques mois, le conseil d’administration fera entrer l’Arménie dans la liste des pays “sûrs”. Des contrats commerciaux sont en cours de signature… »
Pendant qu’il achève son discours, je comprends la directive qui m’est ordonnée. De retour dans mon bureau, j’efface ma conclusion et la remplace par la suivante : « Malgré des propos détaillés et de grande qualité, les craintes de persécutions de l’intéressé en cas de retour au pays ne sont plus d’actualité. Proposition de rejet. »
Enjeux diplomatiques
A quelques mois près, Monsieur L. aurait pu obtenir le statut de réfugié politique. Hélas, une visite diplomatique fait basculer son sort vers celui des déboutés de l’asile.
L’asile interne
L’asile interne est défini par le fait qu’un demandeur d’asile peut trouver refuge dans son propre pays sur une partie du territoire où il serait en sécurité.
L’OFPRA a donc la possibilité de refuser le statut de réfugié dès lors qu’un demandeur d’asile « peut avoir accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d’origine » et qu’il est « en mesure, en toute sûreté, d’y accéder afin de s’y établir et d’y mener une vie familiale normale ».
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