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Ne pas paraître menteur

 

Si la confiance constitue un élément de réussite de l’entretien, celle-ci est intimement liée à la défiance. La peur d’être trompé et la lassitude du mensonge sont constantes chez les OP. C’est la raison pour laquelle l’exercice le plus difficile pour le demandeur d’asile est de contourner le mythe du « réfugié menteur ».

 

Lors d’un déjeuner, des collègues échangent sur leurs entretiens de la matinée.

– C’était mensonge sur mensonge.

– Laisse-moi deviner… un Bangladais ? 

– Oui, ce sont tous des menteurs !

 

Selon Cécile Rousseau et Patricia Foxen, le mythe du « réfugié menteur » repose sur la croyance qu’un demandeur d’asile ne doit pas mentir. S’il emprunte d’une histoire, s’il fait preuve de contradictions ou s’il omet des détails, le demandeur d’asile est perçu comme un menteur. Vu comme un discours intentionnel et chargé d’une connotation morale négative, le mensonge évoque la tromperie et la confiance impossible*. 

 

Il est donc important pour le demandeur d’asile de devancer ce qui pourrait apparaître comme un mensonge aux yeux de l’OP. Cet exercice est d’autant plus nécessaire que la représentation d’un individu menteur glisse rapidement vers celle d’un peuple menteur, engendrant des stéréotypes négatifs sur certaines nationalités.

*Cécile Rousseau et Patricia Foxen, Le mythe du réfugié menteur : un mensonge indispensable ? évol psychiatr. 2006

Monsieur r.

Monsieur R. déclare avoir été persécuté par la police de son pays.

– Les policiers ont dit qu’il fallait que je leur verse un pot-de-vin avant Noël ou ils me jetteraient en prison.

–  Quand vous ont-ils dit cela ?

– Ils sont venus chez moi le 25 décembre.

– Les policiers viennent chez vous le jour de Noël et exigent que vous leur remettiez immédiatement de l’argent ?

–  En Arménie, le 25 décembre est une journée ordinaire. Nous fêtons Noël le 6 janvier. 

Le mensonge : résultat d'un biais culturel

En France, Noël se fêtant le 25 décembre, j’ai pensé à tort qu’il en était de même en Arménie. Si je n’avais pas pointé cette « incohérence », Monsieur R. n’aurait peut-être pas eu l’occasion de dissiper ce malentendu et mon biais culturel aurait induit une suspicion autour de ses déclarations.

Monsieur r.

Monsieur R. poursuit :

– Quand les policiers ont vu ma fille de seize ans, ils ont menacé de 

l’enlever pour la faire travailler dans le club de leur patron.

– Leur patron ? Le commissaire de police ?

– Non, ils ne faisaient pas partie de la police. C’étaient des civils armés chargés de protéger un homme politique. 

Mensonge ou inexactitude lexicale ?

Cette fois-ci, le malentendu entre Monsieur R. et moi repose sur le mot « policier » qu’il utilise à la place du terme « milice privée ».

Il ne s’agit pas un mensonge à proprement parler, mais plutôt d’une inexactitude lexicale de sa part.

Madame S.

Interrogée sur son parcours d’exil, Madame S. insiste :

– Je suis arrivée en France en voiture.

– Vous n’avez pas transité par d’autres pays ?

– Non, le trajet était direct jusqu’ici. J’ai voyagé dans une Mercedes noire.

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réalité indicible

S’il est très peu probable que Madame S. ait effectué la traversée de la Méditerranée en « Mercedes noire », ce mensonge cache une réalité indicible. 

La psychologue Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky explique que le mensonge peut venir « lorsqu’il n’a pas été possible de se taire, lorsque le demandeur d’asile n’a pu faire valoir son droit au silence. Être obligé de dire l’indicible, de préciser ce qui ne se présente, psychiquement, qu’à l’état de confusion, provoque des stratégies de discours qui ne résistent pas à l’épreuve de la vérité factuelle*. » 

​

Ainsi, le mensonge peut être un mécanisme de défense inconsciente pour préserver son intégrité psychique ou « un aménagement subjectif qui permet de survivre à la culpabilité. » 

 

Le mensonge peut également être une réponse rationnelle aux absurdités administratives. Comme Madame Q., une ressortissante mongole qui prétendait être chinoise. Son mensonge sur sa nationalité lui permettait de bénéficier d’un hébergement en foyer.

 

Le parfait demandeur d’asile contourne l’image du « réfugié menteur ». 

 

Le parfait demandeur d'asile comprend que le biais culturel, l’inexactitude lexicale, la déformation de la réalité peuvent être assimilés à des mensonges intentionnels. 

S’il est impossible pour lui de dire l’indicible, le parfait demandeur d’asile explique à l’OP en quoi sa question le met mal à l’aise au lieu de bricoler une réponse qui sera considérée comme un mensonge entachant le reste de ses déclarations.

*Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, La voix de ceux qui crient, Rencontre avec des demandeurs d’asile, Albin Michel, 2018

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